Sans titre ni couleurs

Lorsque la vie est sans couleurs ni éclats peut-on encore écrire ?

Quand le flot de mots s’est tari à force de sécheresse que dire dans un désert ?

Il y en a qui y parviennent grâce à l’imaginaire ou la mémoire ou l’inexorable besoin d’écrire, d’inventer, de raconter, de dénoncer ou de s’interroger.

Pour l’instant je n’y crois plus alors je me tais.

C’est un silence morne et triste alourdi par le constat de la chute d’un rêve. Je n’écris plus, je n’en ai plus envie. Il y a des choses bien plus graves. Partout des hommes meurent dans l’indifférence. De faim, dans la misère ou suite à des violences, torturés, brûlés, noyés, assassinés. D’autres meurent à petit feu, de l’intérieur.

Je ne suis pas de ceux-là, je fais partie des privilégiés qui ont un toit, une famille, un travail, la santé pour mes proches et moi-même. Alors ?

Pour écrire, il me faut cet élan d’enthousiasme, il me faut ces éclats de lumière ou de rire. Certes des éclats il y en a mais si peu de joyeux et tant de lamineurs, de meurtriers. Tant de rêves, de vies brisées, tant d’éclats d’infamies, des éclats brillant de bassesse, de lâcheté, de bêtise. J’ai du mal à écrire sur la beauté des fleurs lorsque je sais que leurs racines sont en train de mourir.

14 avril 2014, 276 lycéennes sont enlevées à Chibok, dans le nord-est du Nigéria par des combattants islamistes de Boko Haram. Qu’avons-nous fait ? Quels moyens aurions-nous déployé si ces jeunes filles avaient été européennes, françaises, américaines ?

3770 migrants ont trouvé la mort en Méditerranée en 2015 et 2452 personnes sont mortes entre janvier et mai 2016 en fuyant leur pays. Sans compter le nombre de disparus…

Que ferions-nous si notre pays n’était plus sûr au point que des milliers d’entre nous préféreraient prendre le risque d’aller mourir en mer plutôt que d’endurer la peur et la violence sur le sol de notre patrie ?

Rien de nouveau, les hommes se font la guerre, victimes civiles et soldats meurent depuis des siècles. Et pourtant les rouages politiques, les jeux de marionnettes guidées par l’intérêt, la soif de richesse et de pouvoir, les guerres politiques ou religieuses, tout cela ne m’a jamais paru aussi offensant que ces derniers temps. Peut-être parce que maintenant presque tout se fait à découvert, dans la norme sous couvert du « il faut d’abord préserver nos propres intérêts ».

J’étais tout à l’heure dans le RER. Une grande majorité des voyageurs étaient rivés sur leurs téléphones. Nous n’avons jamais été aussi connectés et renseignés sur l’état du monde. Et pourtant cet accès à l’information nous a mené à la banalisation de la violence, des exactions, des conséquences humaines effrayantes suite aux guerres et conflits mondiaux.

Juillet 2014 un avion tombe avec à son bord 298 voyageurs alors qu’il survolait l’Ukraine. Il a été abattu en plein vol par un missile. Qui a tiré ? Les séparatistes pro-russes de l’Est de l’Ukraine ou les soldats russes de l’autre côté de la frontière ou les forces gouvernementale ukrainiennes ? Oups, dommage collatéral, regrettable certes mais au vu de la situation et de l’imbroglio politico économique de la région difficile d’agir. Comment en plein 21ème siècle est-il encore possible d’abattre accidentellement un avion civil avec un missile ?

Tout à l’heure, dans le RER des voyageurs râlaient parce que leur train du lendemain risquait d’être annulé. « Ils commencent à nous faire chier avec leur grève » « Ouais c’est comme les poubelles, va pas falloir que ça dure ça commence à puer et bonjour l’image avec l’Euro… » « T’as vu le match d’hier ? »

Moi je n’ai pas vu le match mais j’ai entendu mes voisins chanter en cœur la Marseillaise lors du coup d’envoi. C’est ça le foot, chacun beugle pour son équipe, encourage et soutient son camp « On va vous en mettre plein la gueule, vous écraser ! ». C’est bien le foot, ça rassemble, ça fédère, ça change.

Hormis les voyageurs connectés à leurs portables, toujours dans le RER, il y a ceux qui sont plongés dans des lectures, papiers ou numériques, classiques ou contemporaines. C’est ce que j’aime dans la lecture et l’écriture : le pouvoir d’être transporté. Mais est-ce une fuite ? Lire, écrire, ce n’est pas agir. Et même ceux qui écrivent des mots chocs, ceux qui mettent le doigt sur des situations odieuses, à quoi bon ? On s’insurge, on trouve cela scandaleux et après ? La vie reprend son cours.

Les lycéennes de Chibok ? On a fait ce qu’on pouvait…

L’avion abattu en Ukraine ? Une enquête a été menée, des mesures ont été prises…

La crise des migrants ? On fait ce qu’il faut mais on ne va quand même pas pouvoir tous les accueillir, il va falloir que ça cesse quand même et puis quelle idée aussi de risquer sa vie comme ça…

Et encore, ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres.

Il est vrai qu’il est plus confortable de s’installer dans le giron du quotidien, de ne plus se poser de question, de se laisser porter par l’opinion publique. C’est vrai font chier les éboueurs avec leur grève parce que les poubelles ça pue, les chômeurs c’est des fainéants, les politiciens des pourris finis et le foot ça fédère…Le monde va mal mais si j’arrive à poser mon mercredi pour faire les soldes, à avoir un avion et du soleil pour mes vacances, à mettre des sous de côté pour financer les prochaines je m’en sors bien.

Non décidément à quoi bon écrire. Pas le temps pour les conneries, le rêve tout ça c’est fini. Le flot de mes mots s’est tari, il fait place à la déferlante du quotidien, son raz de marée d’incohérence et d’illogisme, de bêtise et de violence. Je jette le stylo, pour l’heure chantons la Marseillaise la main sur le cœur et ignorons les relents putrides des poubelles qui s’amoncellent.

4 commentaires sur “Sans titre ni couleurs

  1. Écrire pour dessiner un monde d’espoir et planter des fleurs sur les tas d’ordure.
    Garder la volonté de combattre le médiocre et le dérisoire pour avoir le choix de rester humain. Aider si on le peut à proximité et ne pas se décourager.
    Écrire l’espoir pour qu’il revienne.
    J’espère que vous en retrouverez le goût 🙂

    Aimé par 4 personnes

  2. Peut-être simplement écrire parce que la vie cherche à se faire un chemin et qu’il ne faut pas le lui barrer, parce qu’on ne peut pas sauver ni refaire le monde à soi tout seul mais qu’on peut lui donner quelque impulsion, quelque couleur, quelque émotion qui en éveilleront d’autres. Parce que si tout le monde laisse tomber la poésie qui est en soi, là, pour le coup, le monde sera vraiment foutu. Parce qu’il vaut toujours mieux se relever que laisser tomber. Si nous n’allumons pas quelques lueurs dans le monde parce qu’il est plus simple d’abandonner, nous le laisserons en proie à l’obscurité. L’écriture, la poésie, a sauvé bien des vies dans des temps sinistres de la folie les hommes.

    Aimé par 6 personnes

  3. Je ne suis pas d’accord, écrire c’est agir, à certain niveau, ne serait-ce que pour dénoncer, comme tu le fais si justement. Les mots peuvent soulever les masses avec les idées qu’ils véhiculent.
    Quant à manquer d’inspiration et de conviction au vu de l’actualité, je comprends, je traverse souvent de telles phases. Mais comme le dit ‘vy, c’est trop simple d’abandonner, et si se battre avec les mots c’est tout ce que nous avons, alors battons-nous.

    Aimé par 4 personnes

  4. nous sommes beaucoup à poster et à être déprimés par ce qui se vit au quotidien sur cette planète……aussi il est important de *choisir* ce qu’on veut *être* et ce qu’on veut *faire et transmettre* chacun(e) suivant ses ‘talents’……on peut ressasser sans fin (suis une spécialiste!!!) mais on peut aussi transformer ses tristesses en une construction (certes ‘utopique’ sur l’instant) qui va malgré tout ‘changer le monde’ en modifiant la perception de tout ce qui est négatif en quelque chose de positif…..les petits ruisseaux font les grandes rivières et si tout le monde baisse les bras, rien n’évoluera dans un *sens* positif mais contribuera ‘juste’ à accentuer le négatif
    il y a d’autres ‘écrivains contrariés’ mais qui n’abandonnent pas pour autant leur envie de participer à une autre vision de la Vie…..je suis depuis 2008 et ai rencontré celui-ci: http://lorenjy.wordpress.com/ et j’apprécie plus particulièrement ça: http://lorenjy.wordpress.com/2016/06/01/au-jardin-comme-dans-la-vie/ ainsi que l’article précédent (et tant d’autres!)

    chaque goutte d’eau contribue à étancher la soif mais aussi à grossir les cours d’eau…..comme la pluie incessante est en train de le faire………suivons son exemple (son ‘message’ subliminal ) qui nous montre qu’il y à mettre des mots bout à bout pour éradiquer petit à petit les ‘maux’ au lieu de se plaindre de cette météo……les mots ‘en masse’ peuvent se faire raz de marée…..

    signé: une déprimée qui refuse de contribuer à son propre mal!

    Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire